samedi 6 juin 2009

Dialogue de sourdes

Ma mère me parle de son neveu, 10 ans environ, qui doit recouvrir ses cahiers d'école, comme toute sa classe.

- Quelle idée de demander ça à un garçon !
- Pourquoi pas ? Pourquoi les garçons ne devraient pas savoir couvrir leurs cahiers ?
- Mais parce que ! Ça ne les intéresse pas ! Ils ne sont pas soigneux.

Je tente alors naïvement cette question :
- Pourquoi ne pourrait-on pas apprendre la même chose aux filles et aux garçons ?
- Mais parce qu'ils ont des besoins différents !, me répond-elle d'un air exaspéré.
- Mais c'est faux ! (Mon air calme du début s'évanouit petit à petit). Ce sont les parents et la société qui attribuent des activités et des besoins différents à leurs enfants selon leur sexe (genre, peu importe ici) ! Ça commence à la grossesse, on met du rose pour les filles, du bleu pour les garçons pour schématiser. Puis on va mettre la fille à la danse et le garçon au judo, puis on va apprendre à la fille à faire le ménage et on va offrir des mécanos au garçon... c'est tout un engrenage qu'on construit, ça n'a rien de naturel !
- Ce n'est pas vrai !, dit-elle d'un air obstiné.

- Prenons un exemple : quand j'habitais encore chez toi, je devais régulièrement nettoyer la salle de bains ou les escaliers... reconnais que tu n'as jamais demandé ça à mon frère !
- Faux : tu n'as jamais rien fait dans le ménage.
(Comme j'ai entendu cette phrase symptomatique adressée à la fille ingrate et arrogante que j'étais dès que j'osais me rebeller genre, un peu. Limite épitaphe : BadlyDrawnGrrrl, n'a jamais rien fait dans le ménage).
Ton frère fait tout ce que je lui demande. Il fait sa chambre, repasse son linge...
- M'enfin, tu sais bien qu'un asthmatique qui rentrerait dans sa chambre en ressortirait en ambulance ! (Et après vérification auprès de lui, il m'a bien confirmé que c'était le cas et qu'il n'a jamais dû nettoyer cette bête sdb... en gros il se borne à ranger dans le lave-vaisselle quand il y pense)
- Mais tu ne lui a JAMAIS demandé de nettoyer la salle-de-bains ! Ça ne t'est jamais venu à l'esprit. Et cette éducation perpétue les stéréotypes : la fille doit faire le ménage, la cuisine, les gosses, le garçon peut rêver d'être ingénieur avec ses mécanos et son futur gros salaire et sa future grosse retraite, et on comptera sur sa future femme pour faire la salle-de-bains.
- On ne changera pas le monde !!! (ah, l'argument choc qui clôt tout débat). Si tu crois que tu peux le changer, pourquoi ne fais-tu pas des enfants pour voir si ce que tu dis est vrai ? (Tentative pathétique de me rappeler son souhait d'être grand mère)
- Mom... quel argument ! en plus j'ai pas envie d'un laboratoire psychologique vivant...

Et Mom change de sujet, exaspérée, se promettant à l'avenir d'éviter toute conversation sur le féminisme avec sa fille.
Sans que moi je n'aie eu le courage ou l'affront de lui dire que sa vie est l'exemple parfait des limitations imposées aux femmes par notre société, tout comme l'est celle de sa mère et ainsi de suite. Elle nie, incapable de faire le lien entre ce qu'elle a pu vivre dans sa vie comme événements pas toujours drôles ou décisions imposées plus ou moins clairement, et cette inégalité persistante dans une éducation qu'elle avalise totalement comme étant naturelle.

Finalement, c'est grâce à elle que je suis devenue féministe je crois.




Note : le bouquin en illustration, Du côté des petites filles d'Elena Gianini Belotti, publié en 1973, est un des classiques du féminisme que je recommanderais à tout le monde. Encore d'actualité pour certains aspects et très bien documenté.

3 commentaires:

  1. Hé ben ! Je crois que la transcription de cette discution me déprime encore plus que la visite récente d'une exposition à Bruxelles, au palais Bellevue, consacrée aux parcours scolaires des petites filles et des petits garçons qui visait à soigneusement entretenir la différence entre sexe à base de programme scolaire bieeeeeeeeen sexués. Et qui mettait malicieusement en évidence cette incongruité : la Femme, pour une créature naturellement destinée à la maternité et au soin de sa famille (le naturellement est à souligner et mettre en italique), bénéficie d'une étrange profusion de manuels et de "mode d'emploi" de la parfaite ménagère...

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  2. Cette conversation m'a révoltée pendant des jours tu penses bien... L'expo dont tu parles a toujours lieu ? Je voulais y aller aussi et croyais que c'était trop tard.
    Pour les "encyclopédies domestiques", j'avais retrouvé un exemple de ceux-ci et j'en ai scanné quelques pages ici : http://jenesuispasunecomique.blogspot.com/2008/11/vous-reprendrez-bien-un-peu.html

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